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Préoccupations verbales, contradictions pratiques

US Rep. Ilhan Omar (D-MN) (L) talks with Speaker of the House Nancy Pelosi (D-CA) during a rally with fellow Democrats before voting on H.R. 1, or the People Act, on the East Steps of the US Capitol on March 08, 2019 in Washington, DC. (AFP photo)
Un militant agite le drapeau palestinien lors d'un rassemblement Place de la République à Paris. (Archives)

Par Seraj-al-din Moussavi

La guerre à Gaza s’est transformée depuis des mois en une crise totale : des milliers de morts et de blessés, des millions de déplacés et une situation humanitaire catastrophique que les experts internationaux qualifient de famine généralisée. Les responsables européens ont alors exprimé leurs préoccupations avec un langage humanitaire, mais la vraie question qui se pose est de savoir si leurs paroles vont être accompagnées d’actions concrètes; ou bien ce sont là que schémas politiques visant à gérer l’opinion publique et à préserver l’image diplomatique ?

Des déclarations du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, aux messages sur les réseaux sociaux et aux discours au Parlement européen, l’Europe semble être aux côtés du peuple de Gaza. Barrot a déclaré sans détour que la distribution de l’aide humanitaire était « honteuse » et l’a comparée à un « bain de sang ». Ces propos ont été largement relayés par les médias français et internationaux, apparaissant comme un signe de conscience éveillée en Europe. Mais au-delà de ces paroles, des politiques contradictoires sont mises en œuvre. Par exemple, alors que la France organise des opérations aériennes pour acheminer de la nourriture à Gaza, elle expulse en même temps une étudiante originaire de Gaza sous prétexte de publications « antisémites ».

En deux jours consécutifs, la France a montré deux visages radicalement opposés. Le 31 juillet 2025, le ministre français des Affaires étrangères a qualifié l’insuffisance de l’aide humanitaire de « scandale majeur ». Le lendemain, le 1er août, la France a mené sa première opération aérienne d’envoi d’aide alimentaire à Gaza, saluée par les médias. Pourtant, le même jour, une nouvelle a révélé l’expulsion d’une étudiante palestinienne accusée d’avoir publié des messages antisémites sur les réseaux sociaux. Le gouvernement français a ensuite annoncé l’arrêt complet de l’accueil de réfugiés venant de Gaza, et que les réfugiés déjà acceptés seraient réexaminés. Cette politique contredit totalement la prétention de soutenir le peuple gazaoui.

Pour mieux comprendre les racines de cette contradiction, il faut considérer le rôle historique de l’Europe dans la création et la perpétuation de la crise palestinienne. De la Déclaration Balfour du Royaume-Uni au mandat colonial franco-britannique sur le Moyen-Orient, les politiques européennes ont contribué, directement ou indirectement, à la situation actuelle. Aujourd’hui, de nombreux critiques estiment que ces anciennes puissances coloniales continuent, par des politiques contradictoires, à reproduire les mêmes mécanismes d’oppression au lieu de réparer les erreurs du passé. L’exemple britannique est révélateur : bien que son Premier ministre ait promis de reconnaître un État palestinien, aucune mesure concrète n’a été prise, ni pour soutenir cette reconnaissance, ni pour cesser l’exportation d’armes vers Israël. Le Royaume-Uni cherche plutôt à ménager les deux camps, sans assumer sa responsabilité historique.

L’expulsion de l’étudiante a suscité une vague de réactions dans les milieux médiatiques et universitaires en France. Beaucoup y ont vu une tentative d’étouffer les critiques envers la mollesse française face à la guerre à Gaza. En réalité, le gouvernement français utilise l’accusation « d’antisémitisme » comme un outil pour réprimer toute opposition ou critique des crimes de guerre à Gaza. Cette approche rappelle des politiques où la frontière entre critique d’Israël et antisémitisme est délibérément brouillée pour justifier juridiquement et sécuritairement la censure des voix dissidentes. L’arrêt de l’accueil des réfugiés de Gaza est bien plus qu’une décision politique : c’est un échec moral et humanitaire pour le système d’asile européen. La France, jadis pionnière dans l’accueil des réfugiés de guerre, esquive aujourd’hui sa responsabilité avec des prétextes tels que les « publications sur les réseaux sociaux ». Cela reflète un opportunisme politique dans lequel les droits humains sont respectés tant qu’ils ne s’opposent pas aux intérêts politiques ou diplomatiques.

Bien que l’Union européenne semble adopter des positions communes sur Gaza, les divergences internes et les conflits d’intérêts entre États membres rendent ses politiques non seulement inefficaces, mais aussi incohérentes. Certains pays appellent à un cessez-le-feu immédiat, tandis que d’autres, comme l’Allemagne, alimentent la guerre en fournissant un soutien militaire. Des organisations comme Amnesty International et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU ont lancé de multiples alertes sur la situation humanitaire à Gaza, appelant les pays européens à cesser leur politique du double standard. Des rapports évoquent l’obstruction des convois humanitaires par les forces israéliennes, des attaques contre les secours, et l’utilisation de la faim comme arme de guerre. Bien que l’Europe reconnaisse ces rapports, elle n’y répond que de façon passive.

L’une des manifestations les plus évidentes de cette politique à double face est la différence flagrante dans le traitement des réfugiés ukrainiens et palestiniens. Les réfugiés ukrainiens ont été accueillis avec enthousiasme, bénéficiant de permis de séjour, de travail immédiat et de soutien étatique. En revanche, les réfugiés palestiniens font face à des retards, des suspicions, des contrôles sécuritaires, voire des expulsions. Cette différence n’est pas seulement raciale, elle révèle aussi l’influence des lobbys politiques dans l’orientation des politiques d’asile. Les grands médias européens participent également à la normalisation de ce double discours. L’analyse de la couverture médiatique du conflit à Gaza montre une narration dominante qui insiste sur une « violence bilatérale » et évite délibérément des termes comme « génocide » ou « occupation ». Ce langage est stratégiquement choisi pour minimiser les responsabilités et empêcher une véritable empathie publique. À l’inverse, les médias indépendants et les ONG tentent de faire entendre des récits de terrain, mais ils sont souvent censurés ou marginalisés. Cette censure explicite ou implicite fait partie du même mécanisme de gestion de l’opinion publique en Europe.

Bien que certains membres du Parlement européen aient exprimé leur inquiétude pour Gaza, la majorité de l’Union a refusé d’adopter des résolutions tenant directement Israël pour responsable. Ce refus d’un consensus fort face aux crimes de guerre est perçu non seulement comme une faiblesse diplomatique, mais aussi comme une complicité tacite. Une autre tendance marquante est le fossé grandissant entre les politiques officielles des gouvernements européens et les sentiments populaires. Ces derniers mois, des dizaines de manifestations de soutien à Gaza ont eu lieu dans les capitales européennes, révélant que l’opinion publique n’est pas alignée sur les décisions étatiques. Les campagnes populaires pour boycotter les produits israéliens, exiger des sanctions diplomatiques et soutenir les journalistes et militants palestiniens illustrent ce décalage profond. Dans des pays comme la Belgique et l’Irlande, les partis d’opposition ont aussi remis en question les positions officielles. Certains maires européens sont même allés jusqu’à hisser le drapeau palestinien sur leurs mairies – un geste symbolique, mais porteur d’un message clair sur la fracture entre les dirigeants et la conscience collective.

En somme, malgré les actions humanitaires sincères de certains citoyens européens, les contradictions politiques et comportementales révèlent que la priorité de nombreux gouvernements européens n’est pas le sauvetage des Gazaouis, mais la préservation d’un équilibre diplomatique avec Israël et les États-Unis, ainsi que la gestion interne de l’opinion publique. Les politiques européennes face à Gaza restent dictées par les intérêts géopolitiques et économiques, et non par les valeurs déclarées des droits de l’homme. Si la situation actuelle perdure, l’opinion publique mondiale – notamment dans les pays musulmans – risque de ne plus percevoir l’Europe comme un acteur neutre et éthique, mais comme un complice de la guerre, de la destruction et de la famine à Gaza. Pour regagner la confiance, l’Europe doit s’éloigner des discours symboliques et s’engager sincèrement en faveur de la vérité et de la justice. Sinon, ses appels à l’empathie ne seront rien d’autre que l’écho de mensonges politiques au milieu de la souffrance de millions d’êtres humains.

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SOURCE: FRENCH PRESS TV